vendredi 24 avril 2020

La saga du sorceleur par Netflix: une affaire de choix (SPOILERS)

La saga du sorceleur adaptée par Netflix: la revue non sponsorisée


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"Hmmmm..." Geralt de Riv. 


Bonjour à toutes et à tous ! C'est un plaisir de vous retrouver aujourd'hui pour un petit article qui j'espère vous plaira ! Comme le titre vous l'aura indiqué, nous allons discuter de la très récente adaptation de la saga du sorceleur par Netflix, mais sous un angle qui diffère légèrement d'une revue classique comme il en existe déjà des dizaines sur internet.

En effet, votre influenceur préféré vous aura sans doute expliqué très clairement pourquoi Triss est si mal "castée", pourquoi la chronologie est incompréhensible et, si il lui manque quelques neurones, pourquoi c'est une aberration d'avoir mis des acteurs de "couleurs" dans un univers médiéval européen. Il aura sans doute aussi comparé la série à Game of Thrones, pour justifier à quel point The Witcher, c'est "cheap", mais je m'égare dans le royaume du sel.

Cet article ne prendra pas non plus la forme d'une liste de différences entre l'oeuvre source et l'oeuvre cible, une telle démarche étant assez stérile et inintéressante, en plus d'être extrêmement longue. Ce qui importe ici, c'est d'analyser les choix qui ont régi la démarche d'adaptation, c'est-à-dire le processus permettant de passer d'un médium (aussi appelé système signifiant) à un autre. En effet, chaque médium dispose de contraintes qui lui sont propres, et qui déterminent la façon dont émerge une couche de sens. Littérature et cinéma différent par essence, c'est pourquoi une étude des contrastes entre les deux ne serait que peu appropriée pour nous.

Vous l'aurez donc compris, tout est une affaire de choix qui s’avèrent plus ou moins pertinents, et nous allons essayer de les mettre en lumière pour mieux les interpréter.

Cet article risque de dévoiler assez sévèrement des parties de l'intrigue, alors n'allez pas plus loin si vous n'avez pas encore tout regardé. N'oubliez pas votre lame en argent, votre jument, ainsi que votre barde préféré, car nous partons pour le Continent !


Préambule 

Pour celles et ceux qui désireraient en savoir plus sur le contexte de production de la série, ou sur les relations entre Netflix et l'écrivain Andrzej Sapkowski, je vous invite à aller consulter la chaîne d'un créateur de contenu que j'apprécie tout particulièrement, ExServ, et en particulier cette vidéo, intitulée "Un peu de Contexte - Le paradoxe The Witcher ou le casse tête de Netflix", dans laquelle il vous détaillera bien mieux que moi des éléments complémentaires sur la production de la série - https://www.youtube.com/watch?v=KH0IlCNp4Rk&t=3s . Enjoy !

The Witcher par Netflix : un (très) bon début ! - On'
Le sorceleur et ses élixirs. 

Le choix de la série


Tachons de nous échauffer. L'oeuvre source sur laquelle se base la série, soit la saga de Sapkowski, est construite d'abord comme une suite de nouvelles, de petits épisodes, sans réel liens entre eux, mais offrant une perspective plus large de l’univers si l'on décide de les agréger. En d'autres termes, le choix de la série télévisée semble s'imposer de lui-même, car chaque épisode est construit de manière à raconter une histoire unique: la tuerie de Blaviken, le combat contre la Strige, le Djinn de Vengerberg... Cette stratégie convient bien à l’adaptation des deux premiers tomes, mais à partir du troisième, l'auteur adopte le format plus classique du roman, à voir comment la série adaptera ou non le changement.

La première saison à travers le premier épisode


Commençons par notre première analyse, celle du premier épisode, plus particulièrement l'exposition de Geralt et la chute du royaume de Cintra. Les écrits de Sapkowski exposent Geralt en deux temps. Nous avons d'abord une courte scène d'amour entre deux personnages, dont on comprend plus tard qu'il s'agit de Geralt et Yennefer; le chapitre se nomme "La voix de la raison I", un motif qui reviendra tout au long du premier recueil. Le deuxième temps, ou chapitre dans notre cas, s'appelle "Le sorceleur" et nous introduit Geralt plus en détail à travers le contrat et l’affrontement contre la strige de Wyzima. La même stratégie est utilisée dans le premier jeu vidéo (2007) puisque la cinématique d'introduction montre aussi cet affrontement. Nous avons donc ici un Geralt "professionnel", le sorceleur à l'état brut, un tueur de monstres.

La série quant à elle, choisit d'exposer Geralt à travers la rencontre puis le meurtre de Renfri à Blaviken, là où Geralt gagne son célèbre sobriquet, "le boucher de Blaviken" (cette épisode est la troisième nouvelle du premier livre). Croyez le ou non, mais j'ai toujours pensé qu'une série The Witcher devait impérativement commencer par Blaviken. C'est selon moi le moment qui définit le plus clairement Geralt, celui qui lui collera à la peau le plus longtemps, et en effet, Geralt dans la série gardera en souvenir la broche de Renfri avec lequel il ornera son épée, ce qui lui rappellera le poids de son choix. Ce passage à Blaviken nous introduit aussi aux mages et à la façon dont ils sont perçus dans l'univers, grâce à l'interaction avec Stregobor. C'est un aspect important car les mages sont intimement liés au contexte politique du monde et à la façon dont il se développe.

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Autre choix intéressant, le fait de superposer à ce premier épisode l'introduction de Cirilla, la chute de Cintra et la mort de Calanthe. La chute d'une des villes les plus importantes du monde de The Witcher n'est que narrée dans les livres, à travers la voix d'autres personnages. On n'y assiste jamais vraiment, comme la bataille de Sodden d'ailleurs.
Cet épisode est une manière d'introduire l'invasion Nilfgaardienne qui transforme peu à peu le paysage politique des royaumes du nord. Cependant, Nilfgaard, c'est aussi Cirilla, un personnage qui n'est présent qu'à partir du deuxième livre.
C'est donc la stratégie de cette première saison, lier les deux premiers ouvrages de Sapkowski, mêler étroitement les histoires de Geralt et Ciri pour les faire finalement converger lors du dernier épisode. C'est une stratégie cohérente mais risquée, car les deux histoires se trouvent normalement sur deux lignes temporelles différentes, un aspect qui n'est pas précisé au début de la série car il appartient au spectateur de remettre les pièces du puzzle ensemble.

Striga at The Witcher Nexus - mods and community
La strige de The Witcher I, 2007. 

Le temps chronologique dans The Witcher 


Les lignes temporelles et le traitement de la chronologie, voilà quelque chose qui a fait jaser dans les commentaires de nos réseaux sociaux préférés. Avant de me prononcer, j'aimerais préciser qu'il n'est jamais aisé de jouer avec le temps dans une oeuvre de fiction, car les incohérences sont susceptibles d’apparaître bien vite. Et pourtant, modifier la chronologie ainsi que son lien à une histoire donnée ont été les enjeux d'une partie des écrivains modernistes et post-modernistes tout au long du vingtième siècle.
Prenons rapidement l'exemple de Toni Morrison, autrice américaine (je dis autrice oui) post-coloniale décédée le 5 août 2019. Plusieurs romans de Morrison s'inscrivent dans cette volonté de perturber l'équilibre d'une ligne temporelle classique, par le recours à l'analepse ou l'ellipse, utilisées de façon non-conventionnelle (Beloved et Song of Solomon sont les exemples qui me viennent à l'esprit).

L'adaptation de The Witcher, d'une certaine manière, tente la même chose en superposant deux segments temporels différents, en ne précisant ni les dates ni les ellipses. C'est déroutant au début certes, mais il s'agit aussi de demander au spectateur de ne pas rester passif à ce qu'il se passe devant lui, de s'émanciper des schémas plus classiques qui abondent aujourd'hui. Ce traitement particulier n'est pas sans défaut et demandera sans doute un effort conséquent de la part du néophyte, mais demander la participation intellectuelle du spectateur n'est pas une mauvaise chose en soi, loin de là, à mon humble avis.

De plus, Sapkowski, dans certains passages de sa saga, traite aussi le temps d'une manière complexe. L'exemple le plus parlant me vient du tome 6, intitulé La tour de l'hirondelle, qui accumule les analepses lors d'une discussion entre Ciri et un autre personnage, Vysogota de Corvo. Les différents retours en arrière visent à expliquer les raisons qui ont conduit Ciri chez Vysogota. Chaque nouvel épisode est introduit par une sorte de refrain, comme un générique : "Mais personne n'aurait pu les voir. La cabane était bien cachée parmi les roseaux, au beau milieu des marécages où personne n'osait s'aventurer." (Page 39, édition Milady).

Les ellipses sont indiquées de manière très graphique, à la manière de plans qui s’enchaînent. 

En d'autres termes, la façon dont est traitée la série, les choix d'adaptation, aussi discutables soient-ils ne respectent-ils pas l'oeuvre source ?

Conclusion : Une première saison réussie ? Qu'attendre de la suite ?


Une deuxième saison est prévue prochainement, les suppositions sont donc ouvertes. Si cette première saison, très dense (ou trop, cela dépend du point de vue), a permis de poser les bases de l'univers (la magie, les sorceleurs, Nilfgaard, le sang ancien), cette deuxième saison saura peut-être prendre un peu plus son temps, et nous familiariser un peu plus avec la famille des sorceleurs. Il n'est pas interdit de penser que cette saison nous amènera entre les murs de Kaer Morhen, en compagnie de Vésémir, Lambert et Eskel.

Et vous, qu'attendez-vous de The Witcher ? Qu'avez-vous pensé de cette première saison?

The Witcher Cast & Guide des personnages de Netflix | Mopays.com

jeudi 9 avril 2020

World of Warcraft ou l'illustration de l'eschatologie collective

Bonjour à toutes et à tous ! 

C'est un plaisir de vous retrouver aujourd'hui pour un nouvel article ! Je profite de cette période "particulière" pour essayer de vous changer les idées, mais aussi pour vous proposer de réfléchir sur un nouveau sujet. Sans plus attendre et sans vous dévoiler plus de détails qu'il n'est nécessaire, je vous suggère de commencer notre article. Bonne lecture !

Avant-propos 


Fan art, World of Warcraft, HD wallpaper | Wallpaperbetter

Le titre vous a peut-être rebuté, ou alors vous ne voyez pas le lien entre les deux notions, ce que je comprends parfaitement. Laissez-moi vous exposer les enjeux du sujet. Commençons par l'eschatologie, à ne pas confondre avec un autre mot qui lui ressemble fortement mais qui signifie une toute autre chose (je sais que vous y avez pensé, ne mentez pas). Si l'on en croit la définition du dictionnaire du CNRTL (un site que je vous engage à utiliser: https://www.cnrtl.fr/), l'eschatologie consiste en une "Doctrine relative au jugement dernier et au salut assigné aux fins dernières de l'homme, de l'histoire et du monde."  

Si nous remarquons ici clairement la composante chrétienne, cette tradition d'une étude de la fin des mondes se retrouve aussi chez les grecs ou les romains. Mon exemple favori est celui des Métamorphoses d'Ovide, dont je vous cite un court passage, intitulé "Le déluge" : "Déjà il allait lancer ses foudres sur toutes les contrés de la terre; mais il craignit de voir tant de feux embraser l'éther sacré et consumer dans toute sa longueur l'axe de l'univers. Il se souvient que les destins eux-mêmes ont fixé une date où la mer, la terre et le palais celeste doivent s'enflammer et la masse du monde, devenue la proie d'un incendie, tomber en ruine." (Traduction de George Lafaye, Folio Classique, Gallimard, 1992, p. 51). Vous pouvez aussi bien sûr vous référer à la Bible, et en particulier à l'apocalypse de Saint-Jean, cela fonctionne aussi, et demeure tout aussi beau à lire. 

World of Warcraft Fan Art - Phone wallpapers









Le jeu qui rendait fou 



Faisons une petite digression, si vous le voulez bien. Si au lieu de considérer exclusivement la fin, nous choisissions de considérer l'angle des limites. Je m'explique. Quelque chose s'achève, quelque chose commence, comme nous l'indique l'intitulé de la dernière quête de l'histoire de The Witcher 3 (qui est aussi un chapitre du dernier tome, si je ne m'abuse). En d'autres termes, on ne parle plus d'une fin, mais d'une transition, le lien entre un avant et un après. N'oublions pas le terme "collective", qu'il conviendra aussi de définir au moment voulu. 

Screenshot de World of Warcraft: Mists of Pandaria. - World of ...

Si vous ne voyez pas encore le lien avec World of Warcraft, ne vous inquiétez pas, nous y venons. Pour celles et ceux qui ne seraient pas vraiment familiers avec cet univers, nous allons faire une rapide présentation. World of Warcraft est donc ce que l'on appelle un MMO RPG, ce qui donne respectivement "massively multiplayer online role-playing game", un jeu en ligne massivement multijoueur si l'on traduit littéralement. 
La version de base est à l'origine sortie en 2004, puis ressortie très récemment, à la demande des joueurs sur des serveurs dits "classiques". Le jeu fut complété par plusieurs extensions, il en est aujourd'hui à sa septième, Battle for Azeroth, et se prépare à accueillir prochainement sa huitième, Shadowlands, qui devrait refondre une bonne partie des mécaniques actuelles. Si le fait qu'il existe deux versions d'un même jeu peut paraître bizarre, sachez que ceci n'entachera pas la compréhension de ce qui suit.  

10 Incredible Screenshots from World of Warcraft: Legion - Blogs ...

L'eschatologie et World of Warcraft peuvent se lier, c'est ce que je vais essayer de démontrer car j'en suis profondément convaincu. A mon tour de vous convaincre ! 

Le sauvetage à plusieurs 


L'un des principes du jeu se repose sur l'interaction entre les joueurs pour faire vivre le monde, ou plutôt le serveur sur lequel ils se trouvent. De plus, chaque extension dispose de son grand méchant, cet antagoniste (plus ou moins bien écrit) qui menace de réduire le monde en poussière. Qu'il s'agisse de Kel'Thuzad, d'Arthas ou d'Aile de mort, Azeroth (le monde dans lequel l'intrigue prend place) se retrouve à chaque fois menacée de sombrer dans le néant. Il appartient donc aux joueurs de coopérer à travers les différentes étapes du scénario afin d’empêcher cette fin prématurée et ainsi provoquer le passage vers la prochaine mise à jour ou la prochaine extension. 

Là vous commencez à voir le lien avec l'eschatologie normalement. Cette eschatologie devient collective car elle a besoin des joueurs pour se réaliser. Sans eux, le jeu ne serait qu'une somme de pixels, un amoncellement de lignes de code; l'univers resterait figé dans un état de stade, empêchant ainsi toute transition vers un après.  Les joueurs ne sont plus spectateurs, mais acteurs de l'univers, ils assistent à sa création, sa transformation, et même parfois à sa destruction dans le cas de l'extension intitulée Cataclysm, qui remodela certaines parties d'Azeroth (voir ci-dessous). 

A Fissure Through The Heart of Chuck Norris | The Ancient Gaming Noob
La grande division dans la région des Tarides, après le passage du cataclysme en 2011. Cela nous renverrait-il au déluge de flammes décrit par Ovide? 

Dernières considérations 


Bien évidemment, ce concept d'eschatologie collective pourrait s'adapter à d'autres exemples, mais j'ai simplement trouvé qu'il était aisé de l'illustrer à l'aide de World of Warcraft, un jeu sur lequel j'ai pu passer de longues heures à découvrir son univers, ses personnages, ses secrets les plus intimes. Je précise que ce concept semble déjà avoir été utilisé sur internet, mais dans un contexte bien plus religieux. Il était intéressant de montrer ici son lien au médium vidéo-ludique, en mettant en exergue le rôle des joueurs dans la formation d'un monde virtuel. 

Eh bien voilà ! Je pense que c'est tout ce que j'avais à vous écrire aujourd'hui, j'espère avoir réussi à vous accompagner au sein des méandres de ma réflexion. Si c'est le cas, n'hésitez pas comme d'habitude à me laisser un commentaire. Si ce n'est pas le cas, je m'excuse par avance et vous engage à me poser toutes les questions nécessaires. En espérant vous écrire bientôt ! 

T.G.