dimanche 21 octobre 2018

Le thème des pôles dans la fiction: les étendues glacées comme demeure des monstres

ATTENTION, cet article est susceptible de contenir des spoilers sur: Les aventures d'Arthur Gordon Pym de Poe, Vingt-mille lieues sous les mers de Verne, et Les montagnes hallucinées de Lovecraft. 

Ce n'est sans doute pas un hasard si dans Game of Thrones, les marcheurs blancs viennent d'au-delà du Mur, là où le froid et la neige deviennent un obstacle à la vie, sauf pour les robustes sauvageons qui ose y habiter. Ce n'est pourtant pas le seul exemple similaire que l'on pourrait trouver, et ce motif des contrées enneigées semble être même plutôt récurrent, si l'on sait où chercher. Cher lecteur, chère lectrice, il te faut prendre ton plus épais manteau, car aujourd'hui nous partons dans les étendues glacées, et à la rencontre des horreurs qui demeurent là-bas. 

Remontons d'abord jusqu'au début du 19ème siècle, au moment précis où la jeune fille de William Godwin et Mary Wollstonecraft vient d'achever une oeuvre qui perdurera à travers les siècles. Nous parlons ici bien sur du Frankenstein de Mary Shelley, dans sa version de 1818. En effet, dans les dernières lignes du livre, le monstre créé par Victor Frankenstein s'en va, après ses méfaits, mourir dans les lointaines contrées du pôle nord, qui semble être le seul endroit où peut demeurer le monstre. Pourrait-on alors, à travers la fiction, considérer ces étendues glacées (pôle nord et pôle sud) comme impossible à la vie humaine? Les "monstres" seraient-ils les seuls à pouvoir y demeurer? Y-a-t-il, au cœur des glaces, une vérité si horrible qu'elle ne peut nous être révélée? 

Edgar Allan Poe saura peut-être nous aiguiller. En 1838 sont publiées aux Etats-Unis Les aventures d'Arthur Gordon Pym, une aventure maritime qui influencera sans aucun doute Jules Verne et Herman Melville (Moby Dick). Vers la fin de cette histoire d'une centaine de pages, Pym et ses compagnons se retrouvent bloqués au pôle sud sur l'île de Tsahal, aux prises avec la population locale désirant les voir morts. Pym parvient à s'enfuir en bateau à l'aide d'un ami et d'un autochtone prit en otage, jusqu'à la révélation finale et la vision d'une lumière blanche aveuglante. Rien de plus. C'est au lecteur d'interpréter ce qu'il vient de lire. Toujours est-il que Poe ne semble pas vouloir nous révéler directement ce qui se trame aux limites des zones connues. 
Quelques années plus tard, en 1870, Jules Verne tentera aussi le voyage jusqu'au pôle sud, en compagnie du capitaine Némo et de son Nautilus dans Vingt-mille lieues sous les mers. Bien que mieux équipé que Pym, le voyage n'en sera pas moins fastidieux pour le capitaine, forcé de naviguer sous la glace jusqu'aux limites du possible. Il parviendra tout de même à planter un drapeau au pôle, même s'il n'en effleurera que la surface...

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Cependant, un écrivain osera s'aventurer jusque dans les profondeurs même du pôle, et parviendra à conclure magistralement le récit commencé par Poe, se hissant par la même occasion au niveau de son maître, et peut-être même le dépassera-t-il, mais c'est un autre débat. Cet écrivain, c'est Howard Phillips Lovecraft, et l'oeuvre en question, Les montagnes hallucinées, écrite en 1931. Dans cette novella, le Docteur William Dyer découvre les secrets d'une civilisation ancienne demeurant au sein des tréfonds d'une immense chaîne de montagnes au cœur du pôle sud. Tout ceci se conclura sur l'impuissance de l'espèce humaine, qui sert finalement de sujet d'expérience à des créatures beaucoup plus avancées, qui existaient avant nous, et qui resteront bien après notre extinction prochaine. Les étendues ne sont donc pas faites pour l'humanité, elles ne sont que le reflet d'horreurs qui nous tendent les bras, mais sur lesquelles nous n'avons aucune emprise... Un peu comme les marcheurs blancs donc. 

Il existe des cas similaires plus récents, on peut penser à The Thing, The Witcher (le thème du Froid Blanc), ou encore la planète Tau Volantis dans Dead Space 3. Il en existe surement bien d'autres, mais c'est à toi, cher lecteur, chère lectrice, qu'il appartient de les déceler, au péril de ta vie. 

T.G


dimanche 14 octobre 2018

Noël Carroll et le Paradoxe de l'Horreur


Source principale: Noël Carroll. The Philosophy of Horror or Paradoxes of the Heart, Routledge, Chapman and Hall, Inc. New York, 1990. 269 pages. Disponible en anglais et en pdf sur https://guionterror.files.wordpress.com/2010/11/philosophy-of-horror.pdf

Bonjour à toi, cher lecteur (ou chère lectrice), et merci pour ces quelques minutes que tu conçois à m'accorder, et j'espère que le sujet de cette semaine saura capter ton attention. Nous allons parler d'"horreur" en tant que genre, au sens large du terme, dans divers domaines artistiques (cinéma, littérature, jeux vidéos...). Nous allons essayer de comprendre en quoi c'est un genre populaire alors qu'il semble reposer sur des mécaniques qui, à première vue, sont considérées comme "pas particulièrement attirantes". On en profitera aussi pour se pencher sur ce que représente l'horreur aujourd'hui, quels sont ses forces, ses faiblesses, et comment peut-elle évoluer pour continuer à terrifier les générations à venir. Sur ce cher lecteur/chère lectrice, mets toi à l'aise, remémore toi tes pires cauchemars, et prenons ensemble cette route sombre et incertaine de l'horreur. 

En effet, si l'on s’intéresse un tant soit peu au genre de "l'Horreur" aujourd'hui, on peut s'apercevoir que depuis plusieurs années, le genre semble stagner sans parvenir à se réinventer. On peut par exemple citer les films considérés comme "majeurs" sortis récemment et qui se font écho les uns aux autres, comme Conjuring, Annabelle, Sinister, Insidious, jusqu'au très décevant The Nun, reprenant comme antagoniste l'entité démoniaque de Conjuring 2. Je n'ai pas particulièrement de problème avec la plupart de ces films, ils sont mêmes plutôt de bonne, voir de très bonne facture pour certains d'entre eux. Cependant, force est de constater qu'aucun de ces titres "populaires" ne semble faire preuve d'une grande originalité. Il s'agit principalement d'histoires de possession, rythmées plus ou moins de la même façon (cf "les jumpscares ça fait peur, donc faut en mettre partout"). 
Dans son introduction, Carroll cite Stephen King, ce dernier proposant en 1982 une théorie de "cycles de l'horreur" et prédisant la fin de celui qui lui était contemporain. Ce cycle vit l'apparition des films qui allaient influencer grandement la conception du genre, comme L'exorciste (1974), Shining (1980), Halloween (1978), Massacre à la tronçonneuse (1974), ou encore Les griffes de la nuit de Wes Craven (1984). 
On peut émettre l'hypothèse que l'horreur en 2018 fait partie d'un nouveaux cycle, dont l’origine pourrait se situer au début des années 2000 avec Le projet Blair Witch (1999) qui allait lancer la mode de la caméra embarquée/possession (Paranormal Activity, Rec...), et Saw (2005)  qui proposait de mettre l'accent sur la torture aussi bien physique que psychologique, sans rien cacher aux yeux du spectateur. Où en sommes nous dans notre cycle? Le manque d'originalité est-il un signe un signe que sa fin est proche? Pour répondre à cette question, nous allons étudier, à travers le travail de Carroll, les caractéristiques majeures du genre, et les mécaniques qui font son succès. 

Art Horror versus Natural Horror
Qu'entendons nous par "horreur" exactement? Notre première tache va consister à définir et délimiter notre sujet. Il convient donc, d'après Carroll, de faire la distinction entre deux types d'horreurs, Art Horror (littéralement "horreur artistique") et Natural Horror ("l'horreur naturelle").
Commençons par Natural Horror. On peut, par exemple être "horrifié" par la perspective du déclin environnemental, par la guerre, les génocides, et par d'autres catastrophes dites "naturelles". Cependant, ce sentiment n'a rien en commun avec le genre de l'Horreur. Art Horror, au contraire, désigne précisément l'émotion ressentie à travers divers supports artistiques, et dont on reconnait l'existence dans le langage courant. L'Horreur se qualifie aussi par ce que Carroll appelle "l'effet-miroir", par lequel le spectateur va imiter les réactions émotionnelles des personnages qui subissent l'action.
Ces réactions ne se traduisent pas seulement par de la peur, le spectateur doit se sentir menacé, et il doit éprouver du dégoût (beaucoup d’œuvres aujourd'hui se concentrent sur l'aspect peur/sursaut, en oubliant la menace et le dégoût - je ne me suis pas vraiment senti menacé par The Nun en fait). Ainsi, comment expliquer le fait de pouvoir aimer éprouver ces émotions? Comment pouvons-nous vouloir consommer de l'horreur? Tâchons de répondre à ces questions dans ce qui suit.

The Paradox of Fiction
Une nouvelle mécanique entre ici en jeu, c'est le Paradoxe de la Fiction, mais qu'est-ce que cela signifie au juste? Carroll, dans son ouvrage, procède à un examen scientifique de plusieurs théories, afin de trouver celle qui correspond le mieux à son objet d'étude. Ainsi, pour résumer le point de départ de Carroll: "Nos réactions émotionnelles impliquent que l'on croit à l'existence de personnages fictionnels, alors que simultanément, en tant que spectateurs informés, nous sommes présupposés ne pas croire à l'existence de ces personnages." Il faudrait alors croire et ne pas croire en même temps... C'est plutôt bizarre comme théorie non? Le nom de "paradoxe" est donc particulièrement bien trouvé ici.
Avançons donc, au fil de la pensée de Carroll, jusqu'à la solution au paradoxe, la Théorie de la Pensée, et prenons, comme Carroll, l'exemple de Lovecraft. Si l'on pense aux créatures lovecraftiennes et aux descriptions qui en sont faites, on se rend compte que les Grands Anciens sont un amas de caractéristiques qui sont effrayantes et menaçantes, et nous sommes donc "art-horrified". La subtilité se situe dans le fait que nous sommes non pas horrifiés par l'existence de ces créatures, mais plutôt par l'idée que l'on se fait d'elles. Il n'y a donc plus besoin de faire semblant de croire à l'existence de tels monstres (nous savons qu'ils sont fictionnels), car si les descriptions et les suggestions sont suffisamment bien amenées, la pensée suffit à déclencher la bonne réponse émotionnelle, d'où le nom de cette théorie.

The Paradox of Horror
Cependant, le Paradoxe de la Fiction ne suffit pas pour expliquer l'attrait du genre. D'après Carrol, nous sommes attirés par la composition de l'oeuvre horrifique (alors du coup l'article The Philosophy of Composition de Poe serait toujours d'actualité? A méditer.). Selon lui (Carroll, pas Poe, on digresse), on ne prend pas forcément de plaisir dans un événement tragique, mais plutôt dans la manière par laquelle cet événement prend place au sein de l'intrigue. Ceci explique pourquoi une série de jumpscares sans lien entre eux n'a tout simplement aucun intérêt (on comprend donc pourquoi un bon nombre de films échouent, tout simplement parce qu'ils n'accordent pas assez d'importance à la composition, l'écriture, la structure narrative...). Le genre de l'horreur joue beaucoup autour des procédés d'enquêtes et de découvertes de preuves. Certaines œuvres emploient aussi le thème du voyage, de l'exploration. Quoi de plus attirant, en effet, que le plaisir due à la Découverte?

L'horreur aujourd'hui: conclusion et remise en question
Comme nous l'avons vu précédemment, il semblerait que le problème principal des productions actuelles soit le manque d’intérêt pour la composition. Rassurons nous tout de même, il y a eu, depuis le début des années 2000, des œuvres particulièrement marquantes, aussi bien dans le domaine du cinéma que dans celui du jeu-vidéo (Silent Hill 2, Dead Space...), ou de la littérature. Les "créateurs" ne sont donc pas tous portés disparus, et un certain renouveau pourrait prendre place d'ici quelques temps.
Carroll conclue son travail en faisant la remarque suivante: il semblerait que les cycles d'horreur émergent lors de périodes troublées, où le stress social et les angoisses de l'époque trouvent dans le genre de l'Horreur leur moyen d'expression. On notera que Stephen King émet sa théorie des cycles en 1982, soit sept ans avant la chute du Mur de Berlin, ce qui pourrait correspondre à une hypothétique fin de cycle. Je vous laisse méditer et mettre en rapport l'atmosphère actuelle et le nombre de films d'horreur sortis depuis ces dix-huit dernières années.

Ce fut un plaisir de vous écrire cet article, puisse-t-il vous apporter quelque chose, aussi insignifiante soit-elle.

T.G. 

vendredi 5 octobre 2018

La Nonne/The Nun - Quel dommage (sacré Maurice).



Date de sortie: 19 septembre 2018
Réalisateur: Corin Hardy (Le sanctuaire)
Acteurs principaux: Taissa Farmiga/Sœur Irène (American Horror Story), Demian Bichir/Père Burke, mais prononcé BEUURK en VF (Alien: Covenant), Jonas Bloquet/ce bon vieux Maurice (Valerian)

Bonjour à tous, préparez votre eau bénite, prenez votre Bible et vos crucifix ! Dans cet article, nous allons partir du côté de la campagne roumaine, à travers une critique de La Nonne, spin-off dédié au personnage antagoniste de Conjuring 2: Le cas Enfield, un film qui vaut le coup d’œil et qui, même sans atteindre le niveau du premier volet, reste très plaisant à regarder. 
On ne s'emballe pas, c'est loin d'être la même chose pour La Nonne, et comme indiqué dans le titre, la première chose que je me dis en sortant de la salle fut: "Quel dommage!" Quel dommage en effet, car le film avait les moyens de nous offrir une expérience remarquable, si seulement le fond avait été au niveau de la forme. J'entends par "forme" les décors, vraiment beaux, avec une abbaye qui n'est pas sans nous ramener aux origines du Gothique tel qui fut pensé par Horace Walpole, Ann Radcfliffe, ou M.G. Lewis. Certains plans font leur effet, comme par exemple ce couloir brumeux jonché de croix menant à l'antre du "démon", ou encore les plans aériens montrant la vaste abbaye dans toute sa grandeur, mais les capacités du lieu restent malheureusement sous-exploitées. Les effets spéciaux dans l'ensemble sont de bonne facture, tout comme la gestion de la lumière, mais certains éléments ne passent vraiment pas (des nonnes zombies, seriously guys?).
Attaquons nous maintenant au "fond", et commençons par parler de l'écriture, car il y a pas mal de choses à dire. Je vais aborder ici la version française du film, cependant j'ignore si la VO est au même niveau (ou si elle a subit des dommages par la traduction). Les dialogues ne brillent pas par leur qualités, et certaines répliques cassent l'ambiance du film tellement elles sont risibles (Maurice coucou on parle de toi). La grande majorité des personnages sonnent creux, et même Taissa Farmiga qui fait une sorcière plus que convaincante dans American Horror Story n'arrive pas ici à sortir la tête de l'eau (je ne rigole pas, c'est même Maurice qui doit la sauver), comme quoi un mauvais film peut vraiment "casser" ses acteurs. Le père Burke (BEUURK) est un prototype d'homme d'église, creux aussi, qui fait toujours la même tête (il semble en effet incapable d'éprouver la moindre émotion), et ce bon vieux Maurice ne pense qu'à tringler sœur Irène. Autrement dit, nous avons affaire à des personnages (presque parodiques) tout droit sortis de Scary Movie
Un petit point positif quand même, le père Burke, tout au long du film, semble poursuivi par ses démons du passé, ce qui modèle les visions auxquelles il a accès dans l'abbaye. Il est cependant le seul à subir cette mécanique, alors qu'il aurait sans doute été plus cohérent que tous les personnages aient des visions liés à des événements refoulés (Maurice étant un obsédé, on aurait pu avoir des scènes malsaines bien plus effrayantes, à la manière de Stephen King). Je finirai mon article en parlant du démon lui-même, prénommé Valak, dont on ne sait finalement pas grand chose en sortant de la salle, et c'est quand même dommage pour un film qui lui est consacré. En effet, le cadre du film aurait pu donner lieu à une véritable enquête nous plongeant au cœur des secrets de l'immense abbaye (et des personnages eux-mêmes), quelque chose de bien plus efficace qu'un simple enchaînement de jumpscares sans véritable lien entre eux... 
En fin de compte, je n'ai pas pris plaisir à critiquer La Nonne, je suis sincèrement déçu, car j'attendais beaucoup de ce film, qui semble avoir été produit beaucoup trop vite, sans trop de soin. Malgré tout, si vous souhaitez voir une alternative de bonne qualité, dirigez vous vers Le Rituel, un film Netflix avec pour trame de fond la mythologie nordique, le tout au cœur des forêts du nord de la Suède. C'est effrayant, divertissant, oppressant, beau, bref, ça fonctionne, et ça nous occupera le temps d'attendre Halloween de John Carpenter.

A bientôt pour de nouveaux articles!
Votre serviteur,
T. GALLARD.