Source principale: Noël Carroll. The Philosophy of Horror or Paradoxes of the Heart, Routledge, Chapman and Hall, Inc. New York, 1990. 269 pages. Disponible en anglais et en pdf sur https://guionterror.files.wordpress.com/2010/11/philosophy-of-horror.pdf
Bonjour à toi, cher lecteur (ou chère lectrice), et merci pour ces quelques minutes que tu conçois à m'accorder, et j'espère que le sujet de cette semaine saura capter ton attention. Nous allons parler d'"horreur" en tant que genre, au sens large du terme, dans divers domaines artistiques (cinéma, littérature, jeux vidéos...). Nous allons essayer de comprendre en quoi c'est un genre populaire alors qu'il semble reposer sur des mécaniques qui, à première vue, sont considérées comme "pas particulièrement attirantes". On en profitera aussi pour se pencher sur ce que représente l'horreur aujourd'hui, quels sont ses forces, ses faiblesses, et comment peut-elle évoluer pour continuer à terrifier les générations à venir. Sur ce cher lecteur/chère lectrice, mets toi à l'aise, remémore toi tes pires cauchemars, et prenons ensemble cette route sombre et incertaine de l'horreur.
En effet, si l'on s’intéresse un tant soit peu au genre de "l'Horreur" aujourd'hui, on peut s'apercevoir que depuis plusieurs années, le genre semble stagner sans parvenir à se réinventer. On peut par exemple citer les films considérés comme "majeurs" sortis récemment et qui se font écho les uns aux autres, comme Conjuring, Annabelle, Sinister, Insidious, jusqu'au très décevant The Nun, reprenant comme antagoniste l'entité démoniaque de Conjuring 2. Je n'ai pas particulièrement de problème avec la plupart de ces films, ils sont mêmes plutôt de bonne, voir de très bonne facture pour certains d'entre eux. Cependant, force est de constater qu'aucun de ces titres "populaires" ne semble faire preuve d'une grande originalité. Il s'agit principalement d'histoires de possession, rythmées plus ou moins de la même façon (cf "les jumpscares ça fait peur, donc faut en mettre partout").
Dans son introduction, Carroll cite Stephen King, ce dernier proposant en 1982 une théorie de "cycles de l'horreur" et prédisant la fin de celui qui lui était contemporain. Ce cycle vit l'apparition des films qui allaient influencer grandement la conception du genre, comme L'exorciste (1974), Shining (1980), Halloween (1978), Massacre à la tronçonneuse (1974), ou encore Les griffes de la nuit de Wes Craven (1984).
On peut émettre l'hypothèse que l'horreur en 2018 fait partie d'un nouveaux cycle, dont l’origine pourrait se situer au début des années 2000 avec Le projet Blair Witch (1999) qui allait lancer la mode de la caméra embarquée/possession (Paranormal Activity, Rec...), et Saw (2005) qui proposait de mettre l'accent sur la torture aussi bien physique que psychologique, sans rien cacher aux yeux du spectateur. Où en sommes nous dans notre cycle? Le manque d'originalité est-il un signe un signe que sa fin est proche? Pour répondre à cette question, nous allons étudier, à travers le travail de Carroll, les caractéristiques majeures du genre, et les mécaniques qui font son succès.
Art Horror versus Natural Horror
Qu'entendons nous par "horreur" exactement? Notre première tache va consister à définir et délimiter notre sujet. Il convient donc, d'après Carroll, de faire la distinction entre deux types d'horreurs, Art Horror (littéralement "horreur artistique") et Natural Horror ("l'horreur naturelle").
Commençons par Natural Horror. On peut, par exemple être "horrifié" par la perspective du déclin environnemental, par la guerre, les génocides, et par d'autres catastrophes dites "naturelles". Cependant, ce sentiment n'a rien en commun avec le genre de l'Horreur. Art Horror, au contraire, désigne précisément l'émotion ressentie à travers divers supports artistiques, et dont on reconnait l'existence dans le langage courant. L'Horreur se qualifie aussi par ce que Carroll appelle "l'effet-miroir", par lequel le spectateur va imiter les réactions émotionnelles des personnages qui subissent l'action.
Ces réactions ne se traduisent pas seulement par de la peur, le spectateur doit se sentir menacé, et il doit éprouver du dégoût (beaucoup d’œuvres aujourd'hui se concentrent sur l'aspect peur/sursaut, en oubliant la menace et le dégoût - je ne me suis pas vraiment senti menacé par The Nun en fait). Ainsi, comment expliquer le fait de pouvoir aimer éprouver ces émotions? Comment pouvons-nous vouloir consommer de l'horreur? Tâchons de répondre à ces questions dans ce qui suit.
Qu'entendons nous par "horreur" exactement? Notre première tache va consister à définir et délimiter notre sujet. Il convient donc, d'après Carroll, de faire la distinction entre deux types d'horreurs, Art Horror (littéralement "horreur artistique") et Natural Horror ("l'horreur naturelle").
Commençons par Natural Horror. On peut, par exemple être "horrifié" par la perspective du déclin environnemental, par la guerre, les génocides, et par d'autres catastrophes dites "naturelles". Cependant, ce sentiment n'a rien en commun avec le genre de l'Horreur. Art Horror, au contraire, désigne précisément l'émotion ressentie à travers divers supports artistiques, et dont on reconnait l'existence dans le langage courant. L'Horreur se qualifie aussi par ce que Carroll appelle "l'effet-miroir", par lequel le spectateur va imiter les réactions émotionnelles des personnages qui subissent l'action.
Ces réactions ne se traduisent pas seulement par de la peur, le spectateur doit se sentir menacé, et il doit éprouver du dégoût (beaucoup d’œuvres aujourd'hui se concentrent sur l'aspect peur/sursaut, en oubliant la menace et le dégoût - je ne me suis pas vraiment senti menacé par The Nun en fait). Ainsi, comment expliquer le fait de pouvoir aimer éprouver ces émotions? Comment pouvons-nous vouloir consommer de l'horreur? Tâchons de répondre à ces questions dans ce qui suit.
The Paradox of Fiction
Une nouvelle mécanique entre ici en jeu, c'est le Paradoxe de la Fiction, mais qu'est-ce que cela signifie au juste? Carroll, dans son ouvrage, procède à un examen scientifique de plusieurs théories, afin de trouver celle qui correspond le mieux à son objet d'étude. Ainsi, pour résumer le point de départ de Carroll: "Nos réactions émotionnelles impliquent que l'on croit à l'existence de personnages fictionnels, alors que simultanément, en tant que spectateurs informés, nous sommes présupposés ne pas croire à l'existence de ces personnages." Il faudrait alors croire et ne pas croire en même temps... C'est plutôt bizarre comme théorie non? Le nom de "paradoxe" est donc particulièrement bien trouvé ici.
Avançons donc, au fil de la pensée de Carroll, jusqu'à la solution au paradoxe, la Théorie de la Pensée, et prenons, comme Carroll, l'exemple de Lovecraft. Si l'on pense aux créatures lovecraftiennes et aux descriptions qui en sont faites, on se rend compte que les Grands Anciens sont un amas de caractéristiques qui sont effrayantes et menaçantes, et nous sommes donc "art-horrified". La subtilité se situe dans le fait que nous sommes non pas horrifiés par l'existence de ces créatures, mais plutôt par l'idée que l'on se fait d'elles. Il n'y a donc plus besoin de faire semblant de croire à l'existence de tels monstres (nous savons qu'ils sont fictionnels), car si les descriptions et les suggestions sont suffisamment bien amenées, la pensée suffit à déclencher la bonne réponse émotionnelle, d'où le nom de cette théorie.
Une nouvelle mécanique entre ici en jeu, c'est le Paradoxe de la Fiction, mais qu'est-ce que cela signifie au juste? Carroll, dans son ouvrage, procède à un examen scientifique de plusieurs théories, afin de trouver celle qui correspond le mieux à son objet d'étude. Ainsi, pour résumer le point de départ de Carroll: "Nos réactions émotionnelles impliquent que l'on croit à l'existence de personnages fictionnels, alors que simultanément, en tant que spectateurs informés, nous sommes présupposés ne pas croire à l'existence de ces personnages." Il faudrait alors croire et ne pas croire en même temps... C'est plutôt bizarre comme théorie non? Le nom de "paradoxe" est donc particulièrement bien trouvé ici.
Avançons donc, au fil de la pensée de Carroll, jusqu'à la solution au paradoxe, la Théorie de la Pensée, et prenons, comme Carroll, l'exemple de Lovecraft. Si l'on pense aux créatures lovecraftiennes et aux descriptions qui en sont faites, on se rend compte que les Grands Anciens sont un amas de caractéristiques qui sont effrayantes et menaçantes, et nous sommes donc "art-horrified". La subtilité se situe dans le fait que nous sommes non pas horrifiés par l'existence de ces créatures, mais plutôt par l'idée que l'on se fait d'elles. Il n'y a donc plus besoin de faire semblant de croire à l'existence de tels monstres (nous savons qu'ils sont fictionnels), car si les descriptions et les suggestions sont suffisamment bien amenées, la pensée suffit à déclencher la bonne réponse émotionnelle, d'où le nom de cette théorie.
The Paradox of Horror
Cependant, le Paradoxe de la Fiction ne suffit pas pour expliquer l'attrait du genre. D'après Carrol, nous sommes attirés par la composition de l'oeuvre horrifique (alors du coup l'article The Philosophy of Composition de Poe serait toujours d'actualité? A méditer.). Selon lui (Carroll, pas Poe, on digresse), on ne prend pas forcément de plaisir dans un événement tragique, mais plutôt dans la manière par laquelle cet événement prend place au sein de l'intrigue. Ceci explique pourquoi une série de jumpscares sans lien entre eux n'a tout simplement aucun intérêt (on comprend donc pourquoi un bon nombre de films échouent, tout simplement parce qu'ils n'accordent pas assez d'importance à la composition, l'écriture, la structure narrative...). Le genre de l'horreur joue beaucoup autour des procédés d'enquêtes et de découvertes de preuves. Certaines œuvres emploient aussi le thème du voyage, de l'exploration. Quoi de plus attirant, en effet, que le plaisir due à la Découverte?
Cependant, le Paradoxe de la Fiction ne suffit pas pour expliquer l'attrait du genre. D'après Carrol, nous sommes attirés par la composition de l'oeuvre horrifique (alors du coup l'article The Philosophy of Composition de Poe serait toujours d'actualité? A méditer.). Selon lui (Carroll, pas Poe, on digresse), on ne prend pas forcément de plaisir dans un événement tragique, mais plutôt dans la manière par laquelle cet événement prend place au sein de l'intrigue. Ceci explique pourquoi une série de jumpscares sans lien entre eux n'a tout simplement aucun intérêt (on comprend donc pourquoi un bon nombre de films échouent, tout simplement parce qu'ils n'accordent pas assez d'importance à la composition, l'écriture, la structure narrative...). Le genre de l'horreur joue beaucoup autour des procédés d'enquêtes et de découvertes de preuves. Certaines œuvres emploient aussi le thème du voyage, de l'exploration. Quoi de plus attirant, en effet, que le plaisir due à la Découverte?
L'horreur aujourd'hui: conclusion et remise en question
Comme nous l'avons vu précédemment, il semblerait que le problème principal des productions actuelles soit le manque d’intérêt pour la composition. Rassurons nous tout de même, il y a eu, depuis le début des années 2000, des œuvres particulièrement marquantes, aussi bien dans le domaine du cinéma que dans celui du jeu-vidéo (Silent Hill 2, Dead Space...), ou de la littérature. Les "créateurs" ne sont donc pas tous portés disparus, et un certain renouveau pourrait prendre place d'ici quelques temps.
Carroll conclue son travail en faisant la remarque suivante: il semblerait que les cycles d'horreur émergent lors de périodes troublées, où le stress social et les angoisses de l'époque trouvent dans le genre de l'Horreur leur moyen d'expression. On notera que Stephen King émet sa théorie des cycles en 1982, soit sept ans avant la chute du Mur de Berlin, ce qui pourrait correspondre à une hypothétique fin de cycle. Je vous laisse méditer et mettre en rapport l'atmosphère actuelle et le nombre de films d'horreur sortis depuis ces dix-huit dernières années.
Ce fut un plaisir de vous écrire cet article, puisse-t-il vous apporter quelque chose, aussi insignifiante soit-elle.
T.G.
Comme nous l'avons vu précédemment, il semblerait que le problème principal des productions actuelles soit le manque d’intérêt pour la composition. Rassurons nous tout de même, il y a eu, depuis le début des années 2000, des œuvres particulièrement marquantes, aussi bien dans le domaine du cinéma que dans celui du jeu-vidéo (Silent Hill 2, Dead Space...), ou de la littérature. Les "créateurs" ne sont donc pas tous portés disparus, et un certain renouveau pourrait prendre place d'ici quelques temps.
Carroll conclue son travail en faisant la remarque suivante: il semblerait que les cycles d'horreur émergent lors de périodes troublées, où le stress social et les angoisses de l'époque trouvent dans le genre de l'Horreur leur moyen d'expression. On notera que Stephen King émet sa théorie des cycles en 1982, soit sept ans avant la chute du Mur de Berlin, ce qui pourrait correspondre à une hypothétique fin de cycle. Je vous laisse méditer et mettre en rapport l'atmosphère actuelle et le nombre de films d'horreur sortis depuis ces dix-huit dernières années.
Ce fut un plaisir de vous écrire cet article, puisse-t-il vous apporter quelque chose, aussi insignifiante soit-elle.
T.G.
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