mercredi 3 avril 2019

Red Dead Redemption 2 : un jeu d'hier et d'aujourd'hui, ou l'allégorie melvillienne d'une Amérique malade



Note: Il est de mon devoir de vous informer que cet article risque de vous spoiler assez sévèrement si vous n'avez pas fini l'aventure principale de Red Dead Redemption 2. Certes rien ne vous empêche de continuer, mais sachez seulement que c'est à vos risques et périls. Sur ce, bonne lecture !
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Herman Melville (1819- 1891)
Bonjour à tous! J'espère que vous allez bien, c'est un plaisir de vous retrouver aujourd'hui pour un article un peu spécial dédié à Red Dead Redemption 2, sorti le 26 octobre 2018. Je le trouve un peu spécial car nous n'allons pas, cette fois-ci, faire de parallèle avec Lovecraft ou Poe comme nous avons l'habitude de le faire. Non, aujourd'hui nous allons nous intéresser à un autre écrivain américain, tout aussi important, ce cher Herman Melville.
Melville, dans cet article, nous permettra de comprendre certains aspects de Red Dead Redemption 2, aspects qui font de cette oeuvre vidéo-ludique un panorama culturel profondément américain, et terriblement actuel. Sellez votre cheval, n'oubliez pas vos holsters, et allons-nous en vers l'Ouest américain.

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La bande de Dutch. 

L'histoire principale de RDR 2 démarre en 1899, alors que la bande de Duch Van Der Linde, relique du "Far West", tente désespérément de se faire une place au sein d'un nouveau monde dominé par un capitalisme sans pitié. La date est importante: c'est en effet neuf ans après le tristement célèbre massacre de Wounded Knee, dans lequel plusieurs centaines d'amérindiens furent décimés par l'armée des Etats-Unis. Cette année 1890 marque alors la fin de l'avancée de la "frontière", The Frontier, une notion primordiale de l'histoire des Etats-Unis, sur laquelle nous allons nous attarder un petit moment. 
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L'avancée de la frontière se fait bien souvent au détriment des populations amérindiennes. 

The Frontier Theory

Le mythe de la frontière représente l'évolution de la limite entre les territoires connus et inconnus au long du dix-neuvième siècle aux Etats-Unis. En d'autres termes, la frontière mesure l'implantation des populations d'origine Européenne (les colons) sur l'ensemble du territoire américain. Cette frontière va évoluer, puisqu'elle sera repoussé tout au long du siècle, depuis l’expédition de Lewis and Clarke (1804-1806) jusqu'au massacre de Wounded Knee, qui scelle la maîtrise du territoire par les "vrais américains" (LOL). On retrouve ce même mouvement dans RDR 2, au fur et à mesure que la bande de Dutch se déplace sur le territoire du jeu. Une frontière semble aussi se refermer sur les différents personnages, et cette frontière, c'est le capitalisme, qui menace de faire disparaître le style de vie des hommes de l'ouest comme notre Arthur Morgan préféré. En effet, tout semble bouger dans RDR 2, l'univers du jeu est sans cesse en mouvement, comme cette Amérique du dix-neuvième siècle. 

Ce territoire en mouvement nous amène vers Herman Melville, qui, au fil de ses œuvres, dépeint l'Amérique malade dont les murs semblent se refermer sur les personnages. L'univers de RDR 2, c'est le bateau de The Confidence-Man de Melville, qui navigue sur le Mississippi et qui symbolise la société américaine en mouvement. Arthur Morgan c'est aussi le Bartleby, de Bartleby The Scrivener de Melville, un personnage qui n'appartient pas au capitalisme émergent, une erreur, mais un espoir tout de même. Ce sentiment de non-appartenance d'Arthur est renforcé par ce qu'il dit vers la fin du jeu à Sadie Alder:
Arthur lors de la dernière mission avec Sadie Adler, sans doute l'un des meilleurs personnages du jeu. 
Littéralement: "Toi et moi, nous sommes plus des fantômes que de véritables personnes."
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Arthur Morgan and Sadie Adler. 

Un jeu transcendantaliste 

Néanmoins, comme Bartleby, Arthur Morgan a la possibilité de mourir et de "s'élever", et on ne doute pas un seul instant que, tout comme le scribe de Melville, Arthur se trouve "with kings and counselors" (H. Melville, Bartleby The Scrivener: "Avec les rois et les conseillers", il gagne sa place parmi les grands de ce monde).  Cette fin n'est évidemment accessible que si vous assez acquis assez d'honneur avec Arthur, mais je trouve que le jeu nous fait comprendre assez vite qu'Arthur a tendance à être honorable. 
Ainsi, cette thématique de l'élévation semble nous renvoyer au mouvement transcendantalisme américain (concrètement, la base de la littérature américaine, un mouvement fondé par le philosophe Ralph Waldo Emerson dans les années 1830), dont Melville, même s'il en questionne les principes, ne peut nier son appartenance.

Une des dimensions de cette philosophie met l'accent sur la relation entre l'homme et la nature, primordiale pour sa quête de vérité. La proximité de la bande de Dutch à la nature (à travers les différents campements) et la mort d'Arthur confirment l'hypothèse d'un lien puissant entre les deux (c'est aussi confirmé par les visions et rêves d'Arthur, l'image du loup contre celle du cerf, et par la relation que l'on peut nouer avec son cheval), lien qui semble aussi directement provenir du transcendantalisme. 
La mort du cheval d'Arthur, on s'en remet toujours pas. (J'avais dit que ça allait spoiler.)

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce thème de la Nature, je vous dirige vers le livre Walden de Henry David Thoreau (1854). Ce n'est pas une lecture facile certes, mais elle saura élargir vos horizons, j'en suis convaincu. 
Arthur meurt comme il l'avait voulu, en contemplant le lever du soleil. Une scène profondément transcendantaliste. 

Dernières considérations

Tout ces éléments font de RDR 2 un jeu très actuel, dans un monde où l'on considère l'humain davantage comme un bien plutôt qu'un être à part entière. Nous aussi, aujourd'hui, pour reprendre Arthur Morgan, ne sommes-nous pas plus des fantômes que de véritables personnes? Ne sommes-nous pas prisonnier d'une société malade dont les murs se referment lentement sur nous, comme ils se sont jadis refermés sur Arthur, mais aussi sur les Amérindiens à Wounded Knee? (Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le dernier chapitre de l'histoire d'Arthur se focalise sur la situation des réserves amérindiennes et l'appropriation des territoires sacrés par l'armée et les exploitants de pétrole.) 

Vous l'aurez remarqué, cet article ne respire pas l'optimisme et les perspectives qu'il offre ne semblent guère réjouissantes. Cependant, il n'en demeure pas moins que RDR 2 reste une expérience marquante à tout point de vue, tant par la richesse de son univers, la solidité de son écriture, ses personnages fabuleux, et par la manière dont il nous fait réfléchir sur le monde d'hier et d'aujourd'hui. Si vous ne l'avez pas fait, je vous engage vivement à remédier à ce détail, et je ne saurais trop vous conseiller de lire les œuvres de Melville citées dans l'article, elles égaieront votre curiosité, ce qui est  avant tout le but de ce cabinet de "curiosités". 

A une prochaine fois, 

T.G. 

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