mardi 3 décembre 2019

Le cas "Death Stranding" partie 1: comment aborder sereinement le jeu ?


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Hideo Kojima. Habituez-vous à voir ce nom "un peu" partout dans le jeu. 
Enfin ! Après son annonce plus que nébuleuse lors de l'E3 2016, Death Stranding s'est finalement dévoilé le 8 novembre dernier en sortant sur Playstation 4 (la date de la sortie PC reste à confirmer). Hideo Kojima oblige - que l'on connait principalement comme étant le "papa" des Metal Gear - le jeu a déclenché une vague de réactions particulièrement contrastées entre les joueurs (les plus courageux n'ont qu'à aller voir la section "avis" de jeuxvidéo.com pour s'en convaincre, ce n’est pas forcément constructif, mais plutôt édifiant). Entre les joueurs qui affirment que Kojima est un génie, et les autres qui écrivent que le jeu n'a absolument aucun intérêt, il semble difficile de trouver un juste milieu.

Pourquoi le jeu divise autant ? Kojima est-il un génie, ce visionnaire du jeu vidéo, trop intelligent pour être compris ? N'avez-vous aucune sensibilité artistique si vous n’accrochez pas au jeu ? C'est ce que nous allons essayer de voir dans ce premier article sur Death Stranding, qui s'attardera à créer une méthode efficace pour aborder ce jeu qui semble à première vue n'être rien de plus qu'un simulateur UPS ou Deliveroo (le sac moche en moins, - quoique -, mais avec tout autant de courage).

Je vous épargne le pire, mais n'hésitez pas à aller voir, les deux extrêmes sont présents.



Pour une théorisation littéraire du jeu-vidéo


Soyons clairs. Je vais tenter de rester le plus lisible et compréhensible possible, comme toujours, mais n’hésitez pas à me contacter si j’échoue dans ma tâche, soit en commentaire, soit sur ma page Facebook. Accrochez-vous, c'est parti. 

Si l’on décide de faire le parallèle entre jeux-vidéo et littérature, on peut partir du principe qu’il y a différentes périodes dans l’histoire du médium vidéo-ludique (le jeu-vidéo), ce qui n’a jusque-là, rien de choquant. La littérature est elle-même passée par plusieurs phases qui, si l’on souhaite résumer grossièrement, s’interrogent sur la manière de rendre par écrit une certaine dimension du réel. Cela englobe la vision de la voix narrative, sa place dans le récit, la caractérisation des personnages, et/ou la capacité du langage littéraire à rendre ce réel. Un petit exemple : dans l’histoire littéraire britannique, le roman réaliste du dix neuvième siècle sera suivi au début du vingtième par le courant dit du "modernisme", qui tente de démontrer la difficulté du support littéraire à reproduire la réalité et construire des personnages cohérents, et qui par conséquent adopte des stratégies différentes pour palier à ce manque. 

Deux visions → "réalisme" et "modernisme" vidéo-ludique 


Le jeu-vidéo peut, par certains aspects, se théoriser de cette façon. Certains titres se rangeraient plus dans une case « réaliste », dont le but est de créer un monde cohérent, avec ses personnages qui lui sont propres, ainsi qu'une histoire relativement crédible dans le contexte (il convient de préciser que ce n’est pas parce qu’un jeu présente un univers de fantaisie qu’il sort de cette case, The Witcher ou Read Dead Redemption seraient deux bons exemples, dans les deux cas c’est la cohérence du monde qui prime, même si la fantaisie s'oppose à la réalité historique). Dans la lignée de ces jeux, d’autres titres vont s’interroger sur la manière de raconter une histoire, et ainsi réfléchir sur comment rendre une forme de voix narrative dans le jeu vidéo. On peut penser aux jeux de From Software, dont l’histoire, même si elle reste plus ou moins cohérente, n’est pas « racontée » de façon conventionnelle, à travers les descriptions des objets. Nous serions plus ici dans le courant « moderniste » du médium, les concepteurs mettent en lumière des systèmes alternatifs qui transforment l'émergence du sens.

CEPENDANT, comme dans la littérature, chaque vision s’adresse à un type de joueurs/lecteurs différent, qui ne cherchent pas tous la même chose. C’est la première étape nécessaire pour aborder Death Stranding. En effet, le titre de Kojima ne cache point ses ambitions de « révolutionner » notre vision du jeu vidéo, et les avis très tranchés montrent que d’une certaine manière, il y parvient (bon, on écarte les « testeurs » qui s’éclatent à congratuler Kojima quoi qu’il fasse, parce que quand même, Quiet dans Metal Gear Solid 5, c’était un peu « beauf », si si je vous assure).

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Kojima, on n'a pas oublié. Pour les lecteur qui ne situent pas, Quiet est un des personnages principaux de Metal Gear Solid 5, qui est censée pouvoir se rendre invisible, d'où son "CAMOUFLAGE corporel". Oui, un CAMOUFLAGE. Tapez "Quiet rain scene" dans Youtube, vous verrez. 

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James Joyce et Virginia Woolf, les principaux représentants du courant moderniste en littérature.
Non mais un CAMOUFLAGE, sérieux ! D'accord, j'arrête. Pardon.

Mais alors, me direz-vous, à qui se destine Death Stranding 


Et vous avez raison de vous poser la question. Sachez seulement que si vous n’accrochez pas à ce type de vision, cela ne signifie en aucun cas que vous êtes un « sous-joueur ». CEPENDANT, et j’insiste sur ce point, détruire le jeu parce qu’il déstabilise certaines conventions n’est en aucun cas un comportement approprié. Death Stranding s’adresse à ceux qui aiment un aspect déroutant, comme lorsque l’on commence un Dark Souls. On ne sait pas à quoi s’attendre, mais on accepte volontiers ce bref moment d’ignorance. A l’opposé, pour un joueur qui recherche l’action, un gameplay souple et riche, une histoire « réaliste et conventionelle », Death Stranding n’est pas forcément le meilleur choix, et encore une fois, il n’y aucun problème avec ça. 

Il convient de préciser que ces considérations ne rentreront pas dans le test final du jeu, il s’agit uniquement d’une méthode, aussi succincte soit-elle, pour aborder en amont Death Stranding. Je pense sincèrement qu’il faut faire ce travail préparatoire lorsque l’on se confronte avec un titre qui semble sortir du canon vidéo-ludique. Un article suivant viendra se pencher plus précisément sur le jeu en lui-même, afin de déterminer s’il tient ou non toutes ses promesses. Je suis actuellement à une vingtaine d’heures de jeu, et j’ai pu identifier la majorité des points qui vont agrémenter mon test « en retard ». En attendant ce jour, j’espère que ces quelques lignes théoriques vous auront permises de lever une partie du voile qui pèse sur Death Stranding, et qu’elles vous pousseront à vous poser des questions, car c’est en refusant toute forme d’interprétation totalisante/unique qu’il devient possible d’appréhender le vaste monde qui nous entoure.


It is a narrow mind which cannot look at a subject from various points of view.”
― George Eliot, Middlemarch (1871-72). 


T.G. 

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